Idées/Réflexion

Il était une fois la critique d’art en Algérie

Faut-il être poète pour porter l’art algérien dans ses tripes, cela est probablement le cas pour nos deux grands poètes Jean Sénac et Tahar Djaout qui chacun à sa manière a écrit un pan de l’histoire de l’art algérien.

Jean Sénac, algérien dans l’âme, poète, écrivain, fervent militant pour la cause nationale et la promotion d’une culture algérienne, est né en 1926 à Béni Saf, il grandit dans un amour total de l’Algérie et reste très proche du peuple.

Dès 1950, il prit le parti de défendre et illustrer par ses mots la jeune peinture algérienne, il fit d’ailleurs découvrir l’artiste Baya en cette année là en Algérie.

Jean Sénac, fonde et anime dès avril 1964 une des premières galeries algériennes  «  Galerie 54 », une galerie que Sénac voulait centre de recherche et de lien permanent avec le peuple. Cette galerie eut une existence éphémère en tant que tels mais riches en expositions

Il organisa  la première exposition de peinture de l’Algérie indépendante en collaboration avec Jean de Maisonseul où les travaux d’Issiakhem par exemple ont été dévoilés. Dans le même temps, il produit et anime des émissions de radio consacrée à la poésie. L’objectif étant de soutenir l’émergence d’une littérature algérienne, en somme un art algérien.

La Galerie 54 a permis à des jeunes artistes de l’époque tels que Denis Martinez ou Aksouh de briller individuellement.

Il encouragea également dès sa genèse, le collectif « Aouchem » et leur aurait consacré une émission radiophonique en 1968 donnant la parole aux aouchémistes.

Il présenta également divers catalogues d’expositions de nos artistes les plus renommés, tel que Mohamed Khadda. Il lance d’ailleurs l’appellation « peinture du signe » et la notion du Noûn pour qualifier la peinture contemporaine de l’époque reprenant dans son sillage les signes les plus enracinés et authentiques issus de nos entrailles.

La critique d’art de Jean Sénac tel que formulé par Hamid Nacer Khodja est composée en grande partie de ses expériences humaines et de sa subjectivité. A la lecture de ses textes, on ressent l’émotion et la sensibilité de l’artiste envers un autre artiste.

Il nous reste ses écrits et notamment l’ouvrage « Visages d’Algérie » : regard sur l’art qui regroupe une série d’écrits sur la peinture et la sculpture, ses émissions radiophoniques et ses correspondances avec des artistes.

Tahar Djaout est un écrivain, poète et journaliste né en 1954 du côté d’Azzefoun. Il commence à côtoyer très jeune les artistes algériens, et ce dès 1975, son premier recueil « Solstice barbelé » fut d’ailleurs illustré par Denis Martinez.

Il fut également journaliste culturel notamment à Algérie-Actualité où il fit la promotion et la critique de la scène artistique de l’époque à travers des couvertures d’exposition ou la fréquentation des artistes. Il faut le reconnaitre, il était parmi les rares à leur porter un intérêt et parler de leur travail en cette période.

Sa critique et jugement d’art couvre la période de 1976 à 1991, ses écrits repris dans l’ouvrage de Michel Goerges Bernard intitulé Tahar Djaout un mémoire mise en signes relate un pan de l’histoire de l’art algérien où  peu de documentation n’est malheureusement disponible.

Il fit également des états des lieux très critiques de la situation de l’art contemporain algérien. Dans son article paru en 1981 sur Algérie-Actualité, intitulé « où en sont les arts plastiques ? » Il précise que les choses ne tournent pas rond dans le monde des arts plastiques, les recherches artistiques sont stationnaires, les artistes n’arrivent pas à exposer et déplore le manque d’investissement dans ce secteur.

Le dernier article que Tahar Djaout écrit autour de l’art avant son assassinat, fut consacré à l’artiste Karim Sergoua en 1992.

Qu’aurait pensé Jean Sénac ou Tahar Djaout de la scène artistique algérienne actuelle ? On ne le sait trop , mais on a la certitude que ces deux grands hommes auraient encouragé toute création artistique en apportant une critique qui aurait permis à beaucoup d’artistes algériens à faire évoluer leur démarche artistique et se faire connaitre.

Dans un monde plus matériel que sensible et militant, nous aurions besoin de telles figures pour critiquer et rehausser l’art contemporain algérien et lui donner  la place qu’il mérite. Dépasser aussi les phénomènes de buzz artistique répondant bien souvent à un besoin d’appartenance et de légitimation de son jugement esthétique.

 

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